L’audiodescription comme aide aux visiteurs malvoyants : comment rendre l’art accessible ? – partie 2

par Cannelle Dewaeles chez ALTO

Dans le second épisode de cette série d’articles portant sur l’audiodescription, nous entrons dans le détail de son élaboration : quels sont les contenus à intégrer ? Sur quel ton les formuler ? Quels sont les choix éditoriaux qui se présentent ? A quelles technologies recourir ? Comment combiner l’audiodescription à d’autres dispositifs de médiation ?

Mais tout d’abord : qu’est ce que l’audiodescription ?

Elle consiste à décrire à l’oral ce qui s’offre au regard (un spectacle, une oeuvre, un lieu..) et vise à compenser un handicap visuel en substituant l’ouïe à la vue – contrairement à d’autres dispositifs comme le téléagrandisseur qui ne sollicite que la vue. Très utilisée dans le domaine du cinéma, l’audiodescription a aussi fait ses preuves comme outil de médiation culturelle. Elle permet d’accompagner la visite d’un site et/ou d’une exposition par des commentaires audio descriptifs des contenus exposés. Ses effets sont néanmoins variables selon le degré de la déficience visuelle : pour une personne non voyante, elle se limitera à la construction d’une image mentale de l’objet, tandis que pour une personne malvoyante – qui peut donc distinguer certains éléments selon son handicap – elle viendra plutôt en préciser le contenu.

  1. Concevoir un contenu en audiodescription

Que dire alors dans un commentaire en audiodescription dans le secteur culturel ? Car contrairement à son intitulé, il ne s’agit pas uniquement de contenus descriptifs mais également de contenus informatifs. Ces derniers regroupent à la fois les instructions d’utilisation de l’audioguide, qui doivent être expliquées en début de visite, et les indications de direction, pour orienter le visiteur en situation de déficience visuelle. Gardons tout de même à l’esprit que, la plupart du temps, ces publics ne peuvent pas réaliser leur visite en totale autonomie, et sont donc aidés par un accompagnateur, qui les guide dans l’espace.

On pourra distinguer à l’oreille ces deux types de contenus – descriptifs et informatifs – notamment par le recours à des voix différentes, afin que le visiteur repère bien ce qui relève du contenu de la visite ou non.

Si la description des éléments est centrale, se pose à nous un choix éditorial : comment combiner la description brute à l’analyse d’œuvre ? Préfère-t-on les dissocier ou les mêler ? Leur séparation peut apporter plus de clarté pour l’auditeur, qui se crée une image mentale avant de comprendre de quoi il s’agit, mais elle peut aussi générer un certain sentiment de redondance et limiter la fluidité du commentaire (description et analyse se faisant souvent écho).

Se pose désormais la problématique de comment décrire notre vision à quelqu’un qui en est dépourvu ? Cette question souligne l’importance de la manière dont nous nous adressons aux publics atteints de déficiences visuelles.

Premier élément à prendre en compte, la vitesse d’élocution. Nous recommandons d’adopter un rythme posé, plutôt lent, ponctué de courtes pauses si besoin, pour faciliter la visualisation et la compréhension des auditeurs sans toutefois étendre la durée du commentaire. Mais il faut aussi tenir compte de l’écueil souvent rencontré, qui est celui d’une audiodescription trop monotone, qui ne reflète plus la palette d’émotions véhiculée dans les commentaires classiques. A l’écoute des audiodescriptions du Louvre Lens, les testeurs de l’association spécialisée Valentin Haüy ont fait remarquer en ce sens que les audios manquaient de sourires et d’émotions, que le ton employé n’était pas assez “incarné”.

Dans la formulation des commentaires, il est par ailleurs essentiel de stimuler l’imaginaire de l’auditeur. Il ne faut ainsi pas hésiter à recourir à des éléments de descriptions ou de comparaisons éminemment visuels, malgré le paradoxe apparent, et de faire appel aux autres sens, à travers l’ouïe du visiteur, ses ressentis, son odorat, son toucher… A titre d’illustration, pour la visite audio descriptive du Palais Garnier, Alto a fait appel à Jean-Marc Plumauzille, audiodescripteur à l’association Valentin Haüy. Tout au long du parcours, il conseille aux visiteurs de toucher le mobilier environnant pour en percevoir les textures et matériaux, ou de retirer leur casque pour s’imprégner de l’ambiance sonore du site. Dans cette même optique, le musée de la Marine a misé sur un contenu immersif (permis par les saynètes audio notamment) pour son compagnon de visite, qui ne soit pas réservé aux publics non atteints de déficiences visuelles. Si l’on peut redouter de submerger les personnes aveugles et malvoyantes avec une surcharge auditive, ces contenus immersifs peuvent au contraire alimenter leurs imaginaires et enrichir leur expérience de visite, souvent limitée en termes de créativité.

  1. Les leviers d’amélioration d’une expérience de visite en audiodescription

Le choix des contenus et la manière de les exprimer sont essentiels à une audiodescription adaptée, mais d’autres leviers peuvent également être mobilisés lorsque l’on conçoit un dispositif de médiation à destination de publics atteints de déficiences visuelles.

Tout d’abord, la technologie. Elle vise à simplifier la prise en main du support de visite (l’audioguide), grâce aux touches tactiles par exemple (systématique pour le bouton central), mais peut aussi contribuer à rendre l’usager non ou malvoyant plus autonome. Nous pensons notamment ici au potentiel du déclenchement automatique, qui nous semble être un sujet à expérimenter dans le cadre du projet React : dans quelle mesure permet-il une visite en autonomie ? Le visiteur atteint de déficience visuelle peut-il s’affranchir d’un accompagnateur grâce à cette technologie ? Ces questions restent ouvertes et mériteraient d’être approfondies par les professionnels de la culture et de la médiation.

Lorsque les budgets le permettent, il est également intéressant de compléter l’approche auditive de la médiation par le recours au toucher. Pour ancrer le discours, lui donner une réalité matérielle, il est pertinent de proposer des supports de médiation tactiles, comme les maquettes, ou les fac similés. Le Centre Pompidou s’est par exemple associé au designer Alain Mikli pour la reproduction de dix œuvres, sur la base de plaque en format A3 avec huit niveaux de reliefs pour retranscrire avec le maximum de précision les détails de chaque œuvre. Il est là aussi possible de faire appel aux innovations technologiques, mais qui implique davantage de coûts. La société Tooteko, issue d’une recherche doctorale, propose par exemple de mêler l’exploration tactile d’une œuvre à une explication audio déclenchée en simultanée par des capteurs NFC (near-field communication), qui permettent une plus grande précision.

L’audiodescription est la solution la plus adoptée par les institutions culturelles pour rendre plus accessible la visite aux personnes aveugles et malvoyantes, notamment parce qu’elle est la plus abordable financièrement. Mais comme nous l’avons vu au travers de cet article, elle nécessite tout de même d’avoir à l’esprit certains points d’attention.

Pour conclure cette série d’articles, retrouvons-nous le mois prochain autour de quelques bonnes pratiques à mettre en place lors de la conception d’une audiodescription !

L’audiodescription comme aide aux visiteurs malvoyants : comment rendre l’art accessible ? – partie 3

L’audiodescription comme aide aux visiteurs malvoyants : comment rendre l’art accessible ?